Suite aux discussions enflammées autour de la rémunération des auteurs lors de leurs interventions publiques et notamment au Salon Livre Paris, on a vu le hashtag #PayeTonAuteur fleurir un peu partout le week-end dernier.

 

La précarité des auteurs

C’est bien, car ainsi de nombreuses personnes ont découvert que les auteurs qu’ils viennent rencontrer sont le plus souvent présents bénévolement. Et le public a également, au passage, découvert la précarité de ce métier . Un métier ? Non, à l’heure actuelle, on ne peut pas parler du métier d’auteur (même si j’appelle cela de mes vœux depuis pas mal de temps), car un pourcentage ridicule de personnes peuvent en vivre aujourd’hui : sur les 101 600 auteurs répertoriés en 2013 par l’Agessa, combien aujourd’hui peuvent vivre de leur plume ?

Mmm ?

Allez, jouez le jeu, donnez un chiffre !

  • 10 000 (soit 10 fois moins) ?
    Vous vous êtes un optimiste, c’est beau, j’aime. Mais ce n’est pas la bonne réponse…
  • 1 000?
    Ah, je vois, vous êtes une personne avertie des difficultés rencontrées par les auteurs. On ne vous la fait pas, à vous ! Eh bien je regrette, mais vous êtes encore trop optimiste…
  • 100 ?
    Houla, vous ne seriez pas un peu désabusé, vous ? 100 ? Par rapport aux 100 000 écrivains recensés par l’Agessa ? Sachant qu’il y en a tout plein d’autres (dont votre servante) qui n’y figurent pas ?
    Eh bien, j’ai le regret de vous dire que vous aussi, vous vous trompez…

 

Car la bonne réponse, c’est…

40.

40 auteurs pourraient, selon le Figaro en 2016, en vivre. Voilà. Maintenant vous savez.

Ça calme, hein ?

Surtout au regard du temps passé à écrire. Parfois, en ce qui me concerne, je peux écrire une journée entière, sans même manger ou boire ou faire de pause, quand je suis « dans la zone »… et je n’aurai pas rédigé un chapitre. Et puis ce texte devra forcément, nécessairement être re-re-travaillé ensuite, pendant d’autres nombreuses séances.

Bref, si vous souhaitiez vous trouver une activité lucrative, au fort rendement horaire, oubliez l’écriture, je crois que c’est clair pour tout le monde…

C’est quoi, un « auteur indépendant » ?

J’utilise de moins en moins le terme « autoédité » que trop de personnes encore confondent avec l’édition à compte d’auteur et j’ai choisi un mot dont je suis bien plus fière de porter l’étendard, « autrice indépendante »*.

Si vous me découvrez via cet article et avez haussé un sourcil devant l’emploi de ce vocable : « autrice », je vous invite à lire un autre de mes articles « engagés », celui qui explique ce choix, lui aussi complètement délibéré et assumé. 😊

Je ne reviendrai pas ici sur les raisons du choix qui m’a fait passer d’un système d’édition classique à l’indépendance (entre autres articles). Je tiens par ailleurs à rappeler qu’il est BIEN que les maisons d’édition existent car elles offrent aux auteurs un regard professionnel sur leur œuvre, évitent aux écrivains un travail pour lequel ils n’ont souvent aucun attrait et/ou pas les compétences requises, les abritent sous l’étendard de leur ligne éditoriale et assurent la promotion et la diffusion de l’ouvrage.

Lorsque vous optez pour le statut d’indépendant, vous choisissez… de décider de tout. Attention, je n’ai pas dit « de tout faire tout seul », et c’est une nuance extrêmement importante. J’ai su m’entourer, au fil du temps, de personnes essentielles à la réussite de mes livres : les bêta-lecteurs, les infographistes, les correcteurs et mes plus efficaces diffuseurs, les lecteurs… ♥

Il n’empêche que lorsque j’ai fini l’écriture d’un livre, il me reste de nombreuses heures de travail (environ 2 mois, maintenant que je maîtrise bien le processus) de

  • mise en forme ;
  • corrections ;
  • promotion…

À ceux qui se diraient que, du coup, on peut se permettre d’être moins exigeant qu’en maison d’édition, je secouerai la tête avec commisération et rétorquerais que, non, on ne peut pas faire l’économie de tout son temps et de son talent. Parce que le « retour de bâton » serait sans appel.

Car où est-ce que l’auteur indépendant trouve sa légitimité ? Qui construit sa réputation ?

Bingo : les lecteurs. Et les lecteurs savent se faire entendre aujourd’hui, via les chroniques, les commentaires, les posts sur les réseaux sociaux. Si vous bâclez votre travail, vous ne survivrez pas longtemps dans la jungle du marché du livre…

 

Pourquoi faire la distinction ?

Encore aujourd’hui, j’ai eu cette remarque sur Facebook, d’une personne que je côtoie en salon et que j’apprécie. Driss s’étonnait de la distinction « auteur indé et auteur édité » : si je n’ai initialement pas compris sa remarque, il l’a précisée ensuite et je ne peux que l’approuver puisqu’elle apporte de l’eau à mon moulin… En effet, ce n’est pas qu’il ne comprenait pas pourquoi certains auteurs choisissaient l’indépendance, c’est plus que pour lui, TOUS les auteurs sont indépendants.

Distinction indépendant

 

Effectivement, l’une des premières choses que l’on découvre lorsque l’on est édité, c’est qu’on n’est pas « attaché » à la maison d’édition à vie, bien au contraire. Le contrat qui nous lie ne correspond qu’à un titre, parfois plus si affinités, mais il est clair que tous les livres que vous écrirez ne pourront pas être publiés par la même maison, que ce soit pour des raisons de ligne éditoriale, d’incompatibilité de calendrier, etc…

Lorsque je suis en salon, je parle avec des auteurs, des éditeurs, sans qu’il y ait de barrière entre nous du fait de mon statut indépendant. Et c’est encore plus flagrant du côté des lecteurs : ce qu’ils recherchent c’est un livre, ou un auteur, mais je peux presque compter le nombre de fois où l’on m’a demandé par quelle maison j’étais publiée.

Alors pourquoi cette distinction ? Elle n’a foncièrement pas lieu d’être. Être auteur/autrice, c’est écrire, donner son histoire à lire, et puis… passer à la suivante. Tous les auteurs fonctionnent ainsi, quels que soient les dividendes qu’ils perçoivent de la publication de leur texte.

SAUF QUE.

Sauf qu’il y a encore des personnes qui voient une différence entre les auteurs. Qui opèrent des distinctions refusant de prendre en compte l’incroyable phénomène d’expansion des « indés » et de l’autoédition depuis les années 2000 (selon France 24 en 2016, ce seraient 25 000 auteurs qui auraient choisi l’autoédition depuis 2007. Leur article n’est pas aussi exact que je l’aurais souhaité, mais c’est le seul endroit où j’ai pu trouver une estimation).

Le hic, c’est que les personnes qui tiennent à cette différence, au point même de faire une croix complète sur les auteurs indés… sont des instances des métiers du livre.

Ainsi, un auteur indé ne peut pas :

  • adhérer à la Société des Gens de Lettres, qui se targue pourtant d’être « depuis sa création au service de tous les auteurs de l’écrit (écrivains, essayistes, poètes, traducteurs…), que l’écriture soit ou non leur activité première » (c’est dans leur manifeste « Pourquoi adhérer » 😎) ;
  • s’inscrire à l’Agessa, la sécurité sociale des artistes-auteurs (et donc doivent trouver un autre moyen de cotiser…) ;
  • concourir aux mêmes prix littéraires que les auteurs édités.

Ce ne sont pas les seules limites rencontrées par les auteurs indés, mais ce sont des points qui me tiennent à cœur et la raison de l’article d’aujourd’hui (et la date n’est pas du tout innocente, #JeudiAutoEdition oblige sur Twitter ♥).

Bref, j’espère que tout ceci vous amènera à faire un geste, un petit, un tout simple, celui de signer la pétition adressée à la Ministre de la Culture, « J’aime les auteurs indés » : elle vient d’être lancée et comptabilise déjà plus de 300 712 753 signatures (edit du 05/08). D’avance, merci. ♥

 

* Les choses ont changé, en ce qui me concerne, depuis que j’ai rédigé cet article. 🙂 Je suis désormais autrice hybride : éditée pour mes livres jeunesse et autoéditée pour les autres. Cliquez ici pour en savoir plus sur les raisons de ma décision.