Comme promis, une longue, très longue interview de Gandore.
Je dois avouer que nous nous attendions, lui et moi, à des questions plus complexes, mais bon, je pense que vous aurez tout de même quelques réponses intéressantes.
Et en ajout, un détail du très beau dessin réalisé par Céline Lacomblez…
Nous sommes auprès d’un marais, ou est-ce un étang ? Le temps est gris, une brume blanche sillonne nonchalamment les lieux.
L’atmosphère est étrange, un peu pesante.
Quelques personnes sont rassemblées en ces lieux car on leur a annoncé la venue du Grand Sage Gandore, à qui ils vont pouvoir poser des questions. Certains sont nerveux, d’autres en émoi, d’autres encore affichent une grande désinvolture.
Soudain, deux silhouettes se dessinent dans les Brumes, deux tâches grises qui se révèlent au fur et à mesure de leur avancée vers le groupe.
Celui-ci finit par distinguer clairement une femme brune au regard vif et au sourire amical. Derrière elle avance plus posément un grand homme aux cheveux blancs vêtu d’un long manteau noir et d’un gros bâton noueux. Il s’arrête un peu en retrait, tandis que sa compagne prend maintenant la parole.
— Merci à tous de votre présence ici. Comme vous êtes tous très curieux d’en savoir un peu plus sur Sylvine, Olivier et Citara, le Grand Sage Gandore a accepté de répondre à vos questions. C’est un honneur que je suis sûre vous saurez apprécier à sa juste valeur.
Elle semble soudainement hésiter, puis hausse les épaules, comme pour chasser ses doutes.
— Mesdames et Messieurs, je vous laisse la parole.
Il y a un léger flottement. Les interviewers se regardent tous, hésitants. Puis lilidesbuissons s’avance et lance :
— Comment as tu rencontré Sylvine ?
La maîtresse de cérémonie, qui s’est retirée sur une souche sur le côté, grimace devant l’apostrophe peu solennelle. Le Sage, toujours immobile à quelques pas plus loin, ne dit rien. Sous ce regard, lilidesbuissons se recroqueville un peu intérieurement.
Puis Gandore parle :
— Je croyais que vous aviez lu le chapitre 12 ? Tout y est expliqué pourtant.
— Oui, mais je… c’est à dire que je n’ai pas trop le temps pour lire en ce moment, et puis Profette, enfin je veux dire Citarienne, enfin… l’auteure quoi, elle ne nous met plus que des extraits alors…
— Humpf…, grommelle Gandore, visiblement peu convaincu. Disons que cela faisait plus d’un cycle que j’étais parti à la recherche de la Gardienne. Certains éléments ayant guidé mes pas vers les Forestiers, je suis arrivé dans un de leurs lieux de vie, où j’ai découvert les habitants en émoi, très inquiets car l’une des leurs venait de s’enfuir, pourchassée par deux Maudits déterminés à l’amener à Rohé. Cet intérêt de Rohé pour une Forestière m’a intrigué. Connaissant les arcanes des Passages, j’ai pu rattraper la jeune fille et m’assurer qu’il s’agissait bien de celle que je recherchais. La Gardienne de Citara était devant mes yeux, et il s’agissait d’une toute jeune fille du nom de Sylvine.
Tandis que lilidesbuissons et les autres absorbent cette information avec intérêt, une autre voix se fait soudain entendre :
— Cher Gandore, Sage parmi les Sages, je voudrais savoir comment vous avez compris la destinée de votre créature euh… Sylvine ?
C’est une bonne question et le Sage s’apprête à répondre avec bienveillance à celle-ci lorsque Marc ou Net, car il s’agit de lui, continue sur sa lancée, gouailleur :
— N’avez vous pas peur non plus que votre ego ne prenne pas le melon en étant le mentor (à deux reprises) de Sylvine ?
Enfin, comment avez-vous su que la future sauveuse (féminin de sauveur – Ben quoi, je suis aussi un auteur, j’ai le droit d’inventer des mots) de Citara naitra et grandira sous votre règne ?
Bien évidemment, oh grand Sage de la nature, vous n’êtes pas obligé de répondre à mes questions impertinentes.
Un silence écrasant suit ses propos. Prudemment, lilidesbuissons s’est mise en retrait. Tout le monde attend, suspendu, la réaction de Gandore. Va-t-il user de ses formidables pouvoirs pour foudroyer sur place le jeune impertinent ? Ou le transformer en ver de terre ? Mais le Sage se contente de froncer les sourcils.
— Je ne comprends pas, qu’est-ce qu’un melon ? et pourquoi devrais-je en prendre un ?
Poussant un grand soupir de soulagement – et après avoir foudroyé Marc ou Net des yeux – leur hôtesse balaie le sujet d’un geste désinvolte :
— Oh, c’est une expression de notre monde, ce qu’il veut dire, c’est qu’il s’interroge sur la façon dont vous avez pu détecter que le temps était venu de vous mettre en quête de la Gardienne ?
— Humm, oui, je comprends.
Mais son regard s’attarde pensivement sur le jeune homme et sur son air narquois.
— Toutefois, ainsi qu’il m’en a donné l’autorisation, je choisis de ne pas répondre à cette question.
Devant le « ohhh » désappointé de ses invités, il a un fin sourire et ajoute.
— Notamment parce que la réponse va être donnée dans le chapitre 13, et que vous y êtes presque, à ce qu’on m’a dit.
Son regard balaie l’assistance et s’arrête sur une toute jeune fille, qui a levé la main.
— Oui ?
— Bonjour grand Sage Gandore ! Ravie de vous rencontrer !
Je suis navrée de vous importuner, comme tous mes compatriotes ici présents, mais vous me fascinez vraiment ! Vous êtes à mes yeux un Sage très impressionnant ! Aussi, si vous le permettez, j’aimerais vous poser quelques questions… En espérant que vous pardonnerez l’ignorante que je suis.
A ces mots, le vieil homme sourit avec bonhommie. Plus que les compliments, ce qui le touche c’est la nervosité et l’intérêt de la jeune fille. Il se tourne vers celle qui l’a conduit en ces lieux et demande :
— C’est Eola, n’est-ce pas ?
Son interlocutrice acquiesce, tout en lançant un coup d’œil attendri vers celle-ci.
Le Sage s’adresse alors à la jeune fille qui attend sa réponse :
— Je vous en prie, mon enfant, posez-moi vos questions :
Eola lance alors, d’une traite :
— Comment avez vous appris à être un Sage ? Aviez-vous un mentor ? Etre un Sage se transmet-il de père en fils ou faut-il faire preuve de certaines qualités ? S’il faut avoir certains dons, comment trouvez-vous des « apprentis » ? Vous leur faites passer une sorte d’ « évaluation » ?
Le Sage a un petit rire devant tant d’enthousiasme. Puis il répond :
— Alors, tout d’abord, il faut savoir qu’être un Sage ne s’apprend pas, cela vient avec l’âge, avec le temps, avec la vie. Avec la souffrance parfois.
Un nuage passe devant ses yeux, mais il le chasse d’un haussement d’épaule et poursuit :
— On ne choisit pas d’être un Sage, ce sont les autres qui vous choisissent. Ceux qui vous connaissent transmettent votre nom au corps des Sages et lorsque de nombreuses demandes en ce sens leur sont parvenues, ces derniers vous invitent alors à rejoindre leurs rangs. C’est ce qui m’est arrivé. Notre principal rôle consiste à conseiller les dirigeants de Citara sur les décisions à prendre, sur l’organisation de la vie de notre pays… Bref, être un Sage, c’est consacrer ses vieux jours à Citara, c’est une sorte de deuxième carrière.
J’espère avoir répondu à votre question ?
Eola acquiesce avec respect. Elle conclut en ces mots :
—Merci beaucoup pour vos explications ! Et passez une bonne fin de journe.
— Vous de même, mon enfant. Et que la Créatrice vous bénisse.
Tandis qu’Eola reprend place au milieu des autres, on entend soudain quelqu’un grommeler :
— Groumpf… fait croire qu’il est le découvreur de la sauveuse de Citara… Pfff…
Un peu en retrait sur la gauche, Marc ou Net a croisé les bras sur sa poitrine et ronchonne.
En face, Gandore a crispé sa main sur son bâton de marche. Puis, prenant une profonde inspiration, il se tourne vers ceux n’ayant pas encore pris la parole.
— Une autre question, peut-être ?
Visiblement très ému, un homme se détache de l’assemblée. Dans ses yeux on peut lire une révérence, non, une adoration totale. C’est Acharat.
— Gandore, beau Gandore, votre coeur est-il esseulé ?
Un peu déstabilisé par cette question, Gandore hausse les sourcils.
— Je vis seul. J’ai connu l’amour autrefois si tel est le sens de votre question. Mais il n’était pas écrit dans mon destin que notre amour vive au grand jour.
Et son regard se perd dans les souvenirs.
Nerveux, Acharat fait signe à leur hôtesse de le rejoindre et lui chuchote quelque chose à l’oreille. Elle secoue fermement la tête. Alors il lui dit autre chose et, soupirant un peu, elle demande à Gandore :
— Il aimerait connaître votre âge et si vous avez un animal de compagnie.
Gandore esquisse un sourire :
— Sur Citara, j’ai vécu plus de soixante-deux cycles. Si la Créatrice me prête longue vie, il m’en reste autant à son service. Je n’ai pas d’animal. Les livres sont mes compagnons.
Acharat hoche la tête avec enthousiasme. Lui aussi aime les livres. Soudain devant ses yeux passe l’image de la bibliothèque de Gandore, sûrement remplie de manuscrits précieux, d’ouvrages enluminés. Alors, il lance :
— Puisse-je un jour venir vous rendre visite dans votre cahute pour siroter quelques boissons à votre convenance ?
Puis il rougit aussitôt de son audace.
Le Sage a incliné la tête sur le côté, considérant le personnage. La jeune femme, qui s’est mordu les lèvres lorsqu’Acharat a posé sa question, se rapproche vite de lui et lui chuchote quelque chose à l’oreille.
Alors il soupire.
— Jeune Sieur, vous serez le bienvenu dans ma bibliothèque, s’il vous plaisait de m’aider à en faire le tri. Mais je ne peux vous proposer davantage, et encore cela est-il surtout dû à la considération qu’a cette jeune Dame pour vous. Enfin, sachez que je n’ai ni « cahute » ni « boisson à siroter » : j’ai une étude où je travaille.
Déglutissant un peu, Acharat hoche la tête avec reconnaissance et se retire.
Les mains dans les poches, lilidesbuissons revient sur le devant de la scène :
— Bon moi je continue dans les question qui fâchent. Quel âge tu as ? As tu eu des dons ou bien as tu été formé ? Qui préfères tu à Citara ?
A nouveau, le Sage considère son interlocutrice un long moment avant d’esquisser un sourire railleur :
— Hum. On a des difficultés de concentration, à ce qu’on dirait. Etant donné que j’ai déjà répondu aux deux premières questions, je veux dire…
Tandis que lilidesbuissons rougit un peu, il reprend :
— Quant à qui je préfère ? Je ne peux vous dire son nom. Mais elle est unique entre toutes.
Et son regard se fait lointain.
Sagement, lilidesbuissons s’abstient de concocter une autre question dérangeante tandis qu’une autre jeune femme s’avance. Il s’agit de Zela. Elle a une liste et lit celle-ci :
— Comment te définirais-tu toi-même ? Plat préféré ? Une chanson préférée ?
Un paysage (ou une image) qui te tient particulièrement à cœur ?
Gandore soupire à nouveau.
— Décidément, vous autres Terriens affectionnez beaucoup le tutoiement…
Oops ! Zela lève les yeux de son papier. Elle n’a pas pensé à mal, elle le connaît déjà tellement bien, Gandore, qu’il est plus un ami qu’un grand maître pour elle.
Heureusement, il a l’air de le comprendre. Avec humour, il décide même de répondre aux questions de façon aussi brève qu’elles lui ont été posées :
— Une lampe. La dragonade. Collines,collines. Le coucher de soleil sur Citara.
Avec un sourire, Zela le remercie, et, tout en essayant de décoder ses réponses, rejoint la troupe des intervieweurs.
De celle-ci, une voix se fait alors entendre. On dirait celle d’un petit garçon de 10 ans. Mais un coup d’œil plus attentif du Sage lui permet de discerner qu’il s’agit de Marc ou Net, qui s’est dissimulé dans un recoin de la mare.
D’une voix pétulante et maussade à la fois, il lance :
— Quelle ta couleur préférée ? Quel animal de compagnie aimerais-tu avoir ? As-tu un(e) petit(e) ami(e) ?
Visiblement excédé cette fois, le Sage se retourne vers l’auteure.
— Décidément, vos amis ont des problèmes de mémoire, on dirait. J’ai déjà répondu à deux de ces questions !
Un peu piteusement, ladite auteure fait une moue désolée. Elle le connaît bien, son Gandore, et sait qu’il a atteint les limites de sa patience. Elle tremble un peu pour deux des intervenants. Elle les avait pourtant prévenus de faire preuve du respect attendu envers un Grand Sage Citarien. Mais elle ne peut plus rien pour eux.
Finalement, Gandore semble se contenir. Il tend son bâton à la jeune femme, sans un mot. Puis il soulève la lampe accrochée à sa taille. D’une pichenette, il l’allume et elle brille soudain d’une lumière argentée dans la lueur du jour.
— Voici, pour ma couleur préférée.
Puis il passe deux fois la main sur le globe allumé, qui se met à pulser plus fort. Il a un petit sourire moqueur :
— Et voici, en quelque sorte, ma réponse en ce qui concerne les animaux de compagnie.
Puis il reprend son bâton de marche et salue l’assistance d’un signe de tête avant de se retirer : les Brumes l’ont avalé avant que qui que ce soit n’ait pu réagir.
Un peu désemparée de cette fin abrupte, l’auteure se console en se disant que cela aurait pu plus mal finir. Elle remercie les participants de leurs questions et regarde chacun s’éloigner en devisant avec excitation.
Chacun ?
Ils lui paraissent bien peu nombreux tout à coup. Effectivement, elle réalise soudain qu’il en manque deux à l’appel. Et lorsque son regard, machinalement, se baisse sur le sol, elle a juste le temps d’apercevoir un poisson rouge et un crapaud sauter dans la mare toute proche.
— Que… ? Oh non !
Puis elle repart en courant à la suite de son Grand Sage susceptible :
— Gandore !!!!!!
Article importé de mon ancien blog
Merci ! Je me suis de nouveau bien marré tôt ce matin. Ah Marc ou Net transformé en grenouille… 😀
Oui, ses pitreries me manquent… 🙁
Me too. 🙁
J’ai de ses nouvelles, de temps en temps, mais c’est sûr que ce n’est pas comme autrefois. 🙁