J’avais commencé à vous parler du « show don’t tell » dans l’article précédent, mais je souhaitais en faire un article à part tellement le sujet est complexe.
En effet, il suffit que vous écriviez une scène qui ne soit pas « immersive » pour que tout le monde s’écrie « ah, mais c’est trop « tell », il faut mettre du « show ».
Le « show don’t tell », c’est quoi ?
Pour les non-initiés, j’explique ce que l’on entend par là. Ça ne veut pas dire que vous allez faire descendre votre héroïne d’un grand escalier avec des plumes sur la tête en déclamant « New York, New York ! ».
Non, on fait juste une différence entre « dire » quelque chose (« tell » en anglais) et le « montrer » (« show »). En effet, lorsque l’on dit quelque chose, on reste en surface. Le lecteur apprend une information mais ne se sent pas nécessairement impliqué. Dès que l’on parle politique ou contexte historique, on est le plus souvent dans le « tell » et des passages de « tell » sont utiles dans chaque livre.
Mais il n’empêche qu’en utilisant du « show », on créée des images mentales chez le lecteur qui vont être bien plus efficaces que le simple « tell ».
Prenons l’exemple classique que l’on donne pour illustrer le « show, don’t tell » :
Elle était en colère et ses compagnons de cellule comprirent vite qu’il valait mieux ne pas la déranger.
Voilà, c’est un fait. L’auteur vous le dit, son héroïne est en colère. Bon. Difficile de s’identifier à celle-ci ou de la plaindre car il s’agit presque du « Syndrome du JT »* ici : on vous fait une annonce neutre de la situation.
Maintenant, si l’auteur écrit :
Elle envoya valdinguer la chaise à travers la pièce et celle-ci vint s’écraser bruyamment contre la porte close. Sa respiration saccadée, son regard noir et ses poings serrés avertirent ses compagnons de cellule de ne pas s’approcher d’elle tant qu’elle serait dans cet état. Incontrôlable et dangereuse.
Je viens d’inventer cet exemple aussi n’est-il pas parfait, mais je pense que vous comprenez l’idée : on voit très bien la scène. Se sont ajoutés des détails non seulement visuels mais sonores qui nous plongent dedans. Et du coup, vous « vivez » la scène au lieu d’être simplement informés de celle-ci.
* Syndrome du JT : je n’ai pas trouvé cette expression sur le net, mais elle a été utilisée par Sycophante dans quelques-unes de ses bêtas sur mon texte. 😉
Comment faire du « show » ?
- Utilisez les sens pour décrire la scène : pas seulement la vue, mais aussi les sons, les odeurs, le toucher…
- Utilisez des comparaisons, des métaphores ;
- Ajoutez des détails pour aider à visualiser la scène ;
- Insérez les pensées du personnage : focalisation interne, phrases en italique, interjections.
Deux articles m’ont beaucoup aidée dans la préparation du mien : ils creusent davantage encore cette histoire de « show ».
Vous les trouverez sur les blogs de Jean-Sébastien Guillermou (avec un excellent titre !! 😀 ) et de Mécanismes d’Histoires. Je vous en recommande la lecture si le sujet vous intéresse. 😉
Quand utiliser le « tell » ?
Attention à ne pas recourir systématiquement au « show » non plus. D’après mes recherches sur le net et selon mon propre avis, il y a des moments où le « tell » se justifie :
- pour des scènes où il n’y a pas vraiment d’émotion ou d’action : des scènes explicatives, des dialogues…
- pour des scènes complexes, où les émotions, les actions sont multiples ou ambiguës. Le « tell » sera peut-être plus froid, mais plus efficace.
- pour ne pas se retrouver avec un pavé : faire du « show » requiert plus de mots, donc plus de secs (signes espaces comprises) donc plus de pages…
- pour ne pas tomber dans la théâtralité ou la surenchère non plus.
Mes avant-après
Comme je l’avais fait dans l’article précédent, voici mon avant-après non pas sur un mais sur deux extraits. En effet, j’ai de trèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèès nombreux passages à mettre en « show » et donc plein d’exemples à vous donner… Après, savoir si je les ai réussis, c’est une autre histoire… 😉
Avant
Dame Élaine lui avait apporté ses bottes, des bottes souples et résistantes qui lui arrivaient jusqu’au genou. Elle s’était sentie plus forte, plus sûre d’elle, une fois celles-ci enfilées. Plus combative aussi.
Chapitre 5
Bon, très honnêtement, je n’avais pas pensé que ce passage nécessitait plus d’explications mais deux de mes bêta-lecteurs m’ayant fait une remarque dessus, je me suis dit qu’il y avait un truc à tenter…
[Pour l’anecdote, la 3e bêta-lectrice m’a fait mourir de rire en pointant du doigt l’obsession de mon héroïne sur ses pieds nus… Dans ma vie de maman, je n’arrête pas de dire à mes enfants de ne pas marcher pieds nus dans la maison, alors ça m’a fait halluciner de voir que cela ressortait dans mon histoire. Inutile de vous dire que désormais mon héroïne marche souvent pieds nus et adore ça. :p ]
Après
Tout en maugréant intérieurement, elle finit d’enfiler ses bottes. Celles-ci, souples et résistantes, lui arrivent jusqu’au genou et elle se sent plus forte, plus sûre d’elle une fois qu’elle les a passées. Plus combative aussi : elle commence à ressembler à vraie guerrière. Enfin presque… D’un geste décidé, elle enroule sa jupe sur elle-même et la noue comme elle l’avait fait plus tôt : elle n’ira pas au Conseil en tant que femme, mais en tant que combattante. Gandore la regarde sans mot dire mais hoche la tête, un sourire approbateur au coin des lèvres.
Chapitre 5
Alors ? Ça vous plaît ? Un autre exemple, peut-être ?
Tous mes bêta-lecteurs ont aimé le concept du « fil d’amour », un élément appartenant à la magie de Citara. Mais l’un d’entre eux a regretté que l’on ne le voie pas « en action », qu’on ne fasse qu’en parler dans le chapitre introduisant le concept. Il m’a conseillé plus de « show » et du coup, ça m’a donné des idées…
Avant
Nous naissons tous accrochés par un cordon à notre mère. Puis, afin que nous puissions vivre de façon autonome, ce cordon est coupé… C’est un peu l’inverse qui se passe avec la réminiscence et le fil d’amour.
— Le… fil d’amour ? souffla Sylvine, émue tout à coup.
— C’est le fil qui a été tissé pour nous par notre mère pendant sa grossesse. Il est plus ou moins long, coloré ou pas, fait de divers matériaux, en fonction de chacun, de ses ressources disponibles, de son histoire. À la naissance de l’enfant, la mère et ce dernier gardent chacun la moitié du fil et peuvent communiquer par la pensée n’importe où qu’ils se trouvent, en le prenant dans les mains. Placé autour de la taille, le fil n’aide plus à communiquer avec le présent, mais avec le passé, comme un retour au stade fœtal. Le lien est noué autour de la personne réminiscente et l’extrémité est confiée à une autre personne, de confiance, qui maintient un lien avec le présent.
Chapitre 6
Après
— Quant à ce qui est de la réminiscence proprement dite, voici comment cela fonctionne. Nous naissons tous accrochés par un cordon à notre mère. Puis, afin que nous puissions vivre de façon autonome, ce cordon est coupé… C’est un peu l’inverse qui se passe avec la réminiscence et le fil d’amour.
— Le fil d’amour ? sourit Sylvine, charmée par le nom.
— C’est le fil qui a été tissé pour nous par notre mère pendant sa grossesse. Il est plus ou moins long, coloré ou pas, fait de divers matériaux, en fonction de chacun, de ses ressources disponibles, de son histoire… Olivier, peux-tu montrer le tien à Sylvine ?
D’une de ses poches, le jeune homme sort une bourse en feutre noir et en renverse le contenu dans la paume de sa main :
— Le mien est fait de fleurs de rubis ertauquien. Il est assez petit, vu la rareté des gemmes utilisées, mais il fonctionne très bien quand même…
Dans sa main scintille un fil argenté où sont accrochées de fines corolles rouges. Celles-ci semblent pulser sous la lumière de sa lampe et il sourit en refermant le poing dessus, ainsi que ses paupières. Gandore poursuit ses explications :
— À la naissance de l’enfant, la mère et ce dernier gardent chacun la moitié du fil et peuvent communiquer par la pensée n’importe où qu’ils se trouvent, en le prenant dans les mains. C’est ce qu’est en train de faire Olivier avec Dame Sopheline.Chapitre 6
Vous avez vu, ici, j’ai pris le « show » au sens littéral du terme !! 😉 Mais du coup, ça m’a donné une idée pour un autre arc narratif de mon histoire et ça, c’est top !
Voilà, c’est tout pour aujourd’hui, j’ai encore fait un article trop long, grrrrr.
S’il vous a tout de même intéressés, merci de laisser un petit commentaire. Avez-vous des exemples de « show don’t tell » ou des remarques sur le sujet ? Je les attends avec impatience, à bientôt !
Magnifique l’image du fil d’amour. J’adore !!!
Je ne connaissais pas le style show or tell. Merci encore pour ces éclaircissements qui me seront bien bénéfique dans la rédaction de mes comptes rendu ou dissertation. J’y mettrai plus de show pour capter l’attention du correcteur. 🙂
Merci mon Acharat ! Ce n’est pas toujours évident, mais c’est vrai que c’est une bonne technique à connaître. 😉
J’ai bien ri en lisant le passage sur le fait que tu répétais à tes enfants de ne pas marcher pieds nus à la maison, parce que moi, c’est tout le contraire, c’est limite une nécessité de marcher pieds nus, du coup, mes enfants font pareil. Ça rend leur père dingue l’hiver, vu qu’on a que du carrelage à la maison 😀
C’est toujours délicat de doser le show et le tell. Il faut être conscient de ce que l’on veut faire passer comme info, de quelle façon on souhaite que le lecteur la ressente. Pour ton exemple avec les bottes et le le sentiment de combativité, je ne me sens pas plus immergée dans la seconde version que dans la première. Sans doute parce que je connais très bien la notion de combativité et que le mot seul me suffit. Ou peut-être à cause de l’action. Elle ne fait que mettre des chaussures, au final. C’est l’ensemble de ses actions et/ou des dialogues à venir qui nourrissent ce sentiment de combativité qui vibre en elle. Enfin, c’est comme ça que je le vois 😉
Effectivement, je pense que la scène des bottes est un peu trop hors contexte pour vous parler vraiment. Mais je préfère tout de même la deuxième. 😉
J’adore ta réécriture du fil d’amour, vraiment amélioré et satisfaisant. Je suis moins convaincue par le passage sur les bottes. D’abord, tu tell encore beaucoup (elle maugrée puis tu expliques leur qualité, leur souplesse) alors que tu peux lui faire faire quelques pas où sauts pour qu’elle éprouve leur souplesse et qu’elle prenne une posture de guerrière « en garde »…
Comme je le dis dans l’article, l’inconvénient du « show », c’est qu’il multiplie les secs… Or, avec cette histoire je suis déjà à 106 000 mots, donc pour certaines scènes je vais de voir garder du « tell ». 😀 Là, je pense que ça suffit pour juste un bref ressenti : en faire plus n’irait pas avec ce qui se passe juste après. 😉
Ah, le sacro-saint « show don’t tell » !
En ce qui me concerne, je pense qu’il est surtout important dans les scènes qui le méritent. Par exemple quand ton héroïne enfile ses botes, je ne pense pas que ça soit indispensable (mais hors contexte c’est difficile de juger.)
En parlant de ça, ta phrase :
« Celles-ci, souples et résistantes, lui arrivent jusqu’au genou et elle se sent plus forte, plus sûre d’elle une fois qu’elle les a passées. » Je trouve que ça ne va pas. La description des botes dans la même phrase que les sentiments c’est vraiment très étrange, surtout avec la conjonction « et ».
Bon sinon, perso, je suis un gros utilisateur de métaphores et de comparaisons, surtout dans les descriptions. (Mais ma figure préférée c’est l’oxymore. <3) J'utilise aussi pas mal la personnification pour rendre les environnements "vivants". Pour moi il est plus important que le lecteur ait un ressenti fort plutôt que des informations vraiment hyper claires (sans tomber dans le brouillon non plus) en utilisant le show ou le tell, peu importe. Je ne sais pas si ça existe, mais disons j'essaye d'adopter le "Make it feel, don't inform."
Dans l'esprit ça reste très proche du "show don't tell".
Ca m’étonne pas de toi que tu adores l’oxymore !! 😀 😀 😀
Décidément, cette scène des bottes aura fait bien plus réagir que je ne le pensais… 😉
En tout cas, pour tout t’avouer, j’ai ce style de bottes et lorsque je les mets, je me sens tout à fait guerrière aussi ! :p